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Corinne Gaudart, ergonome, directrice de recherche au CNRS et co-directrice du laboratoire Lise, ouvre le séminaire annuel du CREAPT, organisé fin mai au Cnam et intitulé « Travail de demain, expérience d’aujourd’hui ».
Intervenant en ouverture du séminaire annuel « Âges et travail », organisé à Paris du 27 au 29 mai 2019 par le CREAPT, Corinne Gaudard constate que le « travail de demain » est souvent associé à une rupture, ou du moins annoncé avec moult transformations du fait notamment de l’impact du numérique et de ses conséquences sur l’organisation. Des enquêtes auprès des salariés indiquent en effet que le travail est ressenti plus intense, soumis à prescription et contrôle accrus, avec des rythmes de changements plus soutenus.
Ce travail de demain est regardé selon deux conceptions qui déterminent le type d'approche adoptée par les chercheurs : soit les métiers sont considérés comme un assemblage de tâches, soit ils sont perçus comme se réalisant dans une situation donnée et dans ce cas, le potentiel de substitution de l’homme par la machine est réduit.
Pour les chercheurs du laboratoire Lise, les transformations induites par le digital (ne) sont (que) des révélateurs de tensions. Ils invitent à ne plus considérer les catégories traditionnelles, opposées les unes aux autres (par exemple, travail salarié/indépendant, emploi/chômage, poste de conception/d’exécution) mais plutôt à observer ce qui se passe dans les zones grises du travail et de l’emploi.
Ces zones grises sont des éléments/objets en émergence dans le champ du travail et de l’emploi, de natures variées, qui se caractérisent par leur indétermination, leur instabilité et leur incertitude. Il s’agit de contrats entre les parties (auto-entreprenariat, etc.), de modes et conditions d’exercice (coworkig, FabLab, etc.), d’acteurs (makeurs, etc.)... Pas moins de 52 objets sont identifiés dans l’ouvrage qui leur est consacré(1).
Ces zones grises sont repérées comme des transformations potentielles en cours dans le champ travail-emploi et regardées aussi bien comme un appauvrissement que comme un réenchantement de la relation individuelle au travail.
Passerelles entre passé et futur
Le paysage ainsi campé, une question se pose : comment l’expérience est-elle convoquée dans les situations d’emploi/travail qui se redessinent ? Comment est-elle mobilisée dans les parcours professionnels ? S’appuyant sur la pensée d’un historien(2), Corinne Gaudart avance que l’expérience permet de construire des passerelles entre passé et futur, d’envisager des scénarii d’avenir et par là même de relire l’expérience vécue et d’ouvrir des possibles.
C’est ainsi que l’expérience est présentée comme une ressource créative. Au lieu de l'écarter, le collectif aussi bien que l’individu ont intérêt à la convoquer, la mobiliser pour trouver des solutions innovantes dans les situations qui se présentent à eux.
Françoise Lemaire
(1) Bureau Marie-Christine et all. (2019) « Les zones grises des relations de travail et d’emploi – un dictionnaire sociologique », Buenos Aires, Teseo
(2) Koselleck Reinhart, 1990, Le futur passé, Paris, éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.
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